
LA DEPRESSION CHEZ LES ENFANTS ,
LES ADOLESCENTS ET LES ADULTES
La dépression chez les enfants, les adolescents
et les adultes :
Les clés pour la surmonter
La dépression, maladie psychique la plus répandue au monde, touche tous les âges de la vie. Elle est en recrudescence ces dernières années et frappe de plus en plus précocement, « avec une gravité accrue »1.
La dépression infantile représenterait 20% des consultations en pédopsychiatrie. Quel que soit l’âge où elle survient, elle doit être repérée et prise en charge au plus tôt afin d’éviter toute rechute ou autre conséquence désastreuse.
Mieux : on peut la prévenir, ce par des mesures de bon sens, à portée de tous. Comprendre et agir.

Quelques repères pour entrer en matière
La dépression touche plus de 300 millions de personnes dans le monde et est en augmentation depuis 2010. Elle se déclare à tous les âges de la vie et concerne, en France, environ 15 à 20% de la population générale, sur la vie entière.
En clair, une personne sur cinq a souffert ou souffrira d’une dépression au cours de sa vie.
Les symptômes recouvrent une grande diversité (humeur dépressive, perte de l’élan vital, asthénie, goût à rien, ralentissement psychomoteur…), avec un retentissement majeur sur la vie de la personne dépressive et de son entourage. Elle s’accompagne, en outre, d’un risque de suicide particulièrement élevé, concernant
10 à 20% de ces patients.
Le diagnostic est posé selon des critères précis (voir encadré).
Si la maladie est assez facilement repérable dans la population adulte, il n’en est pas de même chez les plus jeunes. Ainsi, la dépression est difficilement détectable chez l’enfant dans la mesure où elle peut se manifester de façons très différentes, et même opposées selon les cas : par exemple, irritabilité/enfant « trop sage », phobie de l’école/surinventissement scolaire pour « oublier » la souffrance. Également, les troubles de l’enfant peuvent être confondus avec un caractère nerveux, colérique ou capricieux. Chez les adolescents, période perturbée et perturbante, elle peut prendre une forme masquée et s’exprimer par des comportements provocants, tels que l’abus de drogues ou d’alcool, des fugues, la délinquance, un désinvestissement scolaire soudain, une automutilation ou encore des troubles alimentaires (anorexie, boulimie). Tandis que les filles se plaignent plutôt de troubles somatiques (maux de ventre, insomnie, mal de dos), les garçons ont tendance à souffrir d’agressivité ou de comportements asociaux2.
Identifiée et soignée
Dans tous les cas, la dépression doit être identifiée et soignée afin d’éviter que la maladie s’installe. La prise en charge psychothérapeutique donne de bons résultats en la matière. Plusieurs types de psychothérapie peuvent être proposées et mises en place.
Chez les enfants, par exemple, citons trois exemples de thérapies. Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) leur permettent de remettre en question la validité de leurs pensées négatives. Suivis en thérapie interpersonnelle, ils apprennent à améliorer leurs relations interpersonnelles.
Dans la thérapie dynamique, les enfants sont aidés dans le développement de leur personnalité et leur adaptabilité aux conflits. (Nous reviendrons en détail sur la notion très importante d’adaptabilité.)
Mais il apparaît évident que la première thérapie, c’est la famille : son soutien, sa capacité d’écoute, sa cohésion et son affection participent en effet essentiellement au rétablissement de l’enfant dépressif - ce qui vaut aussi pour les plus âgés bien sûr. Cela induit de laisser ses problèmes personnels au placard, ce qui n’est certes pas facile ! Mais l’enfant s’imprégnant de son environnement, dont il est dépendant, il en va de sa santé mentale. Ainsi, les parents ont toutes les clés en main pour lutter contre la dépression de leur enfant et même la prévenir. Car le vrai rempart contre la dépression, c’est la confiance en soi, et cela se « transmet » très tôt, aux premières heures de la vie… voire avant. Confiants nous sommes - en nous et en eux -, confiants ils seront, comme nous le verrons. C’est le bon sens en vous, à portée de main, à portée du cœur.
Chez les adolescents, outre l’importance d’une bienveillance parentale, on dispose de clés et d’outils efficaces pour lutter contre ou prévenir la dépression. Mais aussi pour accompagner, d’une manière générale, soutenir, l’émergence de ce nouvel être qu’ils sont en train de devenir. Ils sont dans une période de transformation cérébrale propice à cela.

Quand tout bascule…
Si la dépression est une maladie d’origine plurifactorielle, un certain nombre de facteurs de risque et des événements de la vie sont associés à un risque accru de la développer : des traumatismes précoces, notamment affectifs ou sexuels, survenus au cours de l’enfance, un parent dépressif (voir encadré à ce propos), un décès, une perte d’emploi, une séparation3…
Ou encore une crise sanitaire dont on ne voit pas le bout du tunnel, comme celle que nous vivons actuellement.
Force est aujourd’hui de constater des conséquences gravissimes sur la santé mentale de toute la population. Confinement, déconfinement, reconfinement, port du masque généralisé, couvre-feu, incertitudes généralisées, perte de repères, perte de reconnaissance et de confiance, méfiance envers tous, fossé devenu abîme entre les générations… Qui suis-je, où vais-je, dans quel état j’erre ! aurait si bien dit Coluche. On « pète les plombs » à tous les âges !
D’après une enquête de Santé Publique France révélée fin novembre 2020, le nombre de personnes touchées par un état dépressif entre la fin du mois de septembre et début novembre a tout bonnement doublé, passant de 10 à 21%. L’enquête note parmi les populations les plus touchées - outre les inactifs et les personnes en difficulté financière - les jeunes âgés de 18 à 24 ans.
L’enquête n’est pas allée interroger la santé mentale des enfants et des adolescents. Elle est très préoccupante pourtant, si l’on en croit ce qui se passe du côté des services de pédopsychiatrie, par exemple, où les soignants font parfois face à une véritable « explosion » de troubles psychiques.
Il en est ainsi dans celui de l’hôpital Robert Debré, à Paris, l’un des plus gros services de pédopsychiatrie en France (207 personnes y travaillent), dirigé par le Pr Richard Delorme. Ce dernier avait déjà tiré la sonnette d’alarme lors du premier confinement sur le fait que les enfants étaient les grands oubliés de la crise sanitaire. Et la situation a continué de se dégrader…
Le Pr Delorme a adressé un message d’alerte à l’Agence régionale de santé (ARS) d’Île-de-France et aux autorités sanitaires : les tentatives de suicide chez les mineurs de moins de 15 ans, enregistrées dans son établissement en septembre-octobre 2020, ont doublé par rapport à la même période de l’année dernière. Quant aux relevés d’idées suicidaires, ils ont augmenté de plus de 100%. Une tendance qui se poursuit en novembre4.
Même constat dans bien d’autres endroits : « Selon un tableau de bord de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) du 19 novembre recensant l’activité hors Covid des 39 hôpitaux – majoritairement franciliens – du groupe, les hospitalisations en pédiatrie pour raisons psychiatriques ne cessent d’augmenter depuis août. Elles se situaient fin octobre à 3600, contre 2400 un an plus tôt, soit une hausse de 50%... »5.
Cette crise sans fin, à la gestion schizophrénique (on a entendu tout et son contraire), a révélé des fragilités psychiques, ce à chaque génération :
- Chez les enfants : plongés dans un quotidien bouleversé, avec des parents stressés. Stress auquel ils sont extrêmement sensibles. Ils sont souvent plus inquiets de la détresse de leurs parents que de la situation elle-même ;
- Chez les adolescents : dans une période de leur vie déjà difficile habituellement, qui se sont trouvés isolés de leurs copains, privés d’apprentissage ou dans un climat de classe anxiogène ;
- Chez les adultes : en activité ou non, qui d’un coup d’un seul se sont retrouvés sans perspective ;
- Chez les personnes âgées : négligées, privées de contacts familiaux, qui ne trouvent plus de sens à leur vie, se sentent inutiles.
Dans tous les cas, les perspectives sont noires, au mieux incertaines au pire inexistantes : c’est le vide. C’est la dépression.
Les événements de la vie et la nécessaire adaptabilité
La vie nous réserve plus ou moins de bonheurs. Comme nous venons de le voir, nous devons faire face, parfois, à des situations très difficiles à surmonter qui viennent mettre à l’épreuve notre adaptabilité, notre capacité d’adaptation.
La résilience, par exemple, (dont le terme a été introduit par le psychanalyste britannique John Bowlby dans ses écrits sur l’attachement au milieu du XXe siècle, et développé en France à partir des années 1990 par Boris Cyrulnik, neuropsychiatrie et psychanalyste), est cette capacité à surmonter les chocs traumatiques, d’en prendre acte et de se reconstruire.

L’adaptabilité fait partie des compétences dites « psychosociales ».
D’après la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 1993, les compétences psychosociales (CPS) sont la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne.
C’est l’aptitude d’une personne à maintenir un état de bien-être mental, en adoptant un comportement approprié et positif à l’occasion des relations entretenues avec les autres, sa propre culture et son environnement.
En 2011, l’OMS distingue les compétences sociales, les compétences cognitives et les compétences émotionnelles (voir encadré).
Ces compétences psychosociales « sont nécessaires pour évoluer, développer une image satisfaisante de soi, gérer ses émotions et son stress, résoudre des problèmes, prendre des décisions, résister aux influences des autres, avoir conscience de soi et communiquer », explique Ilda Coppa, fondatrice et directrice de D-Potentiels, Centre d’Éducation Alternative qui propose le « Coschooling® », une scolarité alternative et innovante pour collégiens et lycéens. (tu peux peut-être mettre un lien ici pour retrouver sa formation ?)
D’où la nécessité de les développer dès le plus jeune âge, de manière continue et sur les différents environnements : école, famille, centre de loisirs…, pour plus d’efficacité. Et elles nous profitent toute la vie, nous permettant de faire face au meilleur, comme au pire.
Chez l’adolescent, elles sont particulièrement agissantes aussi. « L’adolescence est une période propice à l’apprentissage de ces compétences psychosociales, c’est le moment d’acquérir ces clés essentielles de vie… celles qui permettent d’accéder au bien-être, au bonheur ! », souligne Ilda Coppa.
En quoi cette période est-elle propice ? À cause de leur cerveau.
Le cerveau des adolescents

Deux grandes transformations touchent en effet le cerveau adolescent : l’élagage et la myélinisation, nous explique le Dr Daniel Siegel, professeur clinicien de psychiatrie à la faculté de médecine de l’UCLA et l’un des experts mondiaux du cerveau de l’enfant et de l’adolescent6. Des changements qui permettent de comprendre l’évolution du processus décisionnel chez eux.
Un véritable « remodelage » cérébral qui permet à l’adolescent de devenir conscient de lui-même, de réfléchir à la vie de manière conceptuelle et abstraite.
Tout petit, notre cerveau a multiplié de manière abondante les connexions neuronales, comprenant foule de détails, afin d’absorber tout ce que nous apprenions. À l’adolescence, les informations devenues inutiles seront supprimées. C’est l’élagage synaptique, consistant dans l’élimination massive de synapses, qui permet une meilleure utilisation du réseau synaptique et donc une meilleure efficacité du cerveau7. Les connexions neuronales restantes se recouvrent de myéline qui, telle une gaine, protège d’une part les fibres nerveuses, mais surtout augmente la vitesse de propagation de l’influx nerveux. L’ensemble de ce processus contribue à développer une aptitude à juger non plus uniquement d’après des détails, mais selon une vision globale et intuitive des choses.
« Le pouvoir de l’esprit adolescent est avant tout sa capacité à résoudre des problèmes de manière inédite et novatrice à travers le développement d’une pensée conceptuelle et abstraite », souligne Daniel Siegel8.
L’adolescent commence alors à s’interroger sur sa propre personnalité et à explorer avec créativité le sens profond de la vie, de l’amitié, des apprentissages scolaires, etc. C’est le moment d’agir.
Cette pensée abstraite et conceptuelle, ainsi que « le besoin accru de récompense et la recherche de la nouveauté sont trois sources susceptibles d’alimenter la pensée créative », continue l’expert. Les adolescents doivent prendre conscience de ce pouvoir qu’ils détiennent, pour mieux se connaître et déployer leurs talents de vie. L’entourage peut y œuvrer, qu’il s’agisse de la famille (en premier lieu bien sûr), des amis ou des différents adultes ou autres professionnels entourant l’adolescent. Côté famille, la relation parents-adolescent doit être au maximum ouverte à la communication. « Les outils proposés par la parentalité consciente et bienveillante, donne en exemple Daniel Siegel, peuvent donner des pistes pour y parvenir et permettre aux ados de passer « du seulement moi au nous aussi » ».
Une attitude bienveillante et positive, une écoute, une compréhension empathique et des échanges respectueux offriront cette sécurité affective, l’attachement sécurisant et le soutien dont ils ont besoin. Une reconnaissance, une confiance en soi.
Nous avons tous besoin de reconnaissance
La vague de dépression qui s’abat sur le pays dans le sillage de cette crise sanitaire sans fin l’a d’autant plus révélé, mettant à mal cette reconnaissance dont nous avons tant besoin, ce à tous les âges de la vie !
« Pour beaucoup de gens, le désir le plus profond était d’être vus et acceptés dans la famille pour ce qu’ils étaient, ils voulaient être traités avec gentillesse, compassion, compréhension et respect ; se voir accorder la liberté, la sécurité et l’intimité, ainsi qu’un sentiment d’appartenance. Tout cela dépend de la capacité d’empathie des parents », pointent Myla et Jon Kabat-Zinn9.

Professeur émérite de médecine, Jon Kabat-Zinn enseigne la méditation de pleine conscience afin d’aider les gens à surmonter le stress, l’anxiété, la douleur ou la maladie.
Cette reconnaissance, nous la cherchons toute notre vie finalement. Moult prouesses récompensées ont été « dédiées à mes parents », qu’ils soient encore là ou disparus.
« Nous passons notre vie d’adulte à tenter de réparer nos blessures d’enfant, et en particulier ce besoin fondamental d’être reconnu et accepté pour ce que l’on est », souligne Jeanne Siaud-Facchin, psychologue clinicienne, psychothérapeute, et fondatrice des centres Cogito’Z10. Et d’ajouter : « elle est ici notre mission absolue de parent : permettre à nos enfants l’éclosion de ce qu’ils sont vraiment, profondément, avec une bienveillance de chaque instant ».
Une relation bienveillante et empathique qui sera décisive pour toute la vie, garante d’une confiance en soi à toutes épreuves, contre toutes épreuves et aléas de la vie, parce qu’elle nous permet de nous adapter, d’être résilients (« Ce qui ne me tue pas me rend plus fort », disait le philosophe Friedrich Nietzsche), donc créatifs. Ce, en créant les conditions de notre reconstruction. Celle qui donnera un nouveau sens à la vie, tout son sens même.
Jamais seuls, mais avec et grâce aux autres. Dans l’entraide, l’autre loi de la jungle, pour reprendre l’expression de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle11. Notre vraie nature.
Références :
1 – Comme le souligne le Dr Lila Amirali, psychiatre à l’hôpital de Montréal pour enfants du Centre Universitaire de Santé Mc Gill, qui déplore : « De nos jours, la dépression apparaît à un âge de plus en plus précoce et avec une gravité accrue ». Source : Sautes d’humeur ou dépression ? Reconnaître les signes de la dépression de l’enfant et de l’adolescent, hopitalpourenfants.com
2 – Comprendre la dépression chez l’enfant, Passeport Santé
3 - Inserm. Dossier réalisé en collaboration avec Alain Gardier et Emmanuelle Corruble, CESP (équipe Moods, unité 1178 Inserm), Université Paris-Saclay, Faculté de pharmacie de Chatenay-Malabry, Faculté de médecine Paris Sud, Mood Center Paris Saclay, Service hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’Hôpital Bicêtre, AP-HP
4 - À l’hôpital Robert-Debré, les soignants face à l’ « explosion » des troubles psychiques chez les enfants, Pascale Santi, Le Monde, 26 novembre 2020
5 – op. cit. 4
6 – Le Dr Daniel Siegel a notamment écrit Le cerveau de votre enfant, avec Tina Payne- Bryson, et al., Marabout, 2 janvier 2020 et Le cerveau de votre ado, Dr Daniel Siegel, Les Arènes, 25 avril 2018
7 - Society for Neuroscience, Brain Facts, A Primer on the Brain and Nervous System, USA, Society for Neuroscience, 2016 et The National Institute of Mental Health, « Development of the Young Brain », sur Brain Facts, 2 mai 2011
8 – Comprendre le remodelage du cerveau adolescent pour poser un regard positif et bienveillant sur les ados, Neurosciences
9 - Myla et Jon Kabat-Zinn, À chaque jour ses prodiges. Être parent en pleine conscience, Paris, Les Arènes, 2012
10 – Jeanne Siaud-Facchin pratique et enseigne la méditation de pleine conscience et est notamment l’auteur, sur ce sujet, de Tout est là, juste là. Méditation de pleine conscience pour les enfants et les ados aussi, Odile Jacob, 2014
11 – L’entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne et Gauthier Chapelle, Les Liens qui Libèrent, 2017